Nantes, 1907 : un "bouledogue" dans le prétoire
En ce mois de juin 1907, le « bouledogue » s’installe dans le box des accusés du tribunal de Nantes. Georges Yvetot comparait pour provocation au meurtre et à l’assassinat. Depuis le 26 mars 1907, en compagnie de son co-inculpé, Charles Marck, il était venu prêter main forte aux dockers nantais…
Au début du mois de mars, la grève des dockers et charbonniers du port de Nantes prend un tour tragique : les dockers se heurtent violemment aux forces de l’ordre, les gendarmes à cheval chargent, sabre au clair, d’autres sortent les armes à feu. Victor Charles, docker quadragénaire, père de quatre enfants, est tué sur le pas de sa porte, rue des Trois-Barrils. Des dizaines d’autres portefaix sont frappés, sabrés, y compris le fort modéré leader de la Bourse du travail, Joseph Blanchart.

C’est dans ce contexte tendu que débarque le "Bouledogue", le 26 mars en gare de Nantes. Yvetot est typographe de métier, mais il n’en a pas les mœurs policées. Il n’est pas là pour appeler à l’apaisement mais pour organiser et durcir la grève. Chacune de ses interventions est une attaque en règle de l’ordre politique et social : armée, église, mariage, capitalisme, inspecteurs du travail (à la solde des patrons !), sénateurs (« les mangeurs de boudin du Luxembourg »)… Quant aux non-grévistes, il faut leur « tambouriner la gueule » ! Lorsqu’un brigadier est retrouvé mort et que certains suspectent les dockers d’avoir fait le coup (ce qui n’est pas le cas), Yvetot hausse les épaules : « C’est bien fait pour cette vache (…) On aurait dû l’apporter à la bourse pour le mettre dans la soupe » !
A la mi-avril, alors que le mouvement commence à s’effilocher, le gouvernement brandit les articles 23 et 24 de la loi de 1881 pour provocation au meurtre et à l’assassinat. Yvetot et Marck sont jetés en prison. Démoralisés, les dockers nantais reprennent lentement le chemin du labeur, le capuron sur la tête…
Yvetot ? Les procès, il n’en a cure. La prison ? Elle fait partie des aléas de la vie d’un propagandiste syndicaliste-révolutionnaire, d’un homme sans Dieu ni maître. La cour d’assises de Nantes le condamnera donc à un an de détention. Quant au gendarme Postec, l’assassin de Victor Charles, il sera acquitté par le conseil de guerre. Comme le souligna son défenseur, « une condamnation serait interprétée comme l’ingratitude de la société envers ces braves et modestes serviteurs qui la défendent au péril de leur vie, sans parler de l’encouragement qu’elle donnerait aux gens de désordre »…

En mémoire de Christian Zimmer (1952-2018), docker, judoka, syndicaliste, chineur, passionné d’histoire et amoureux des quais.
Article initialement publié sur le blog du CHT le 28 février 2019.
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