Eugène Forget, défenseur de "l'unité paysanne"
Né avec le siècle dans le pays de Segré, à quelques encablures de la Mayenne, Eugène Forget (1901-1994) fut le premier président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. En mars 1946, lors du congrès de fondation, il fait voter à mains levées le « serment de l’unité paysanne »...
En octobre 1944, par ordonnance, le gouvernement provisoire dissout la Corporation paysanne créée par le gouvernement de Vichy et dans laquelle l’essentiel des militants paysans se sont retrouvés pour défendre l’identité paysanne et le métier. Les discours du Maréchal sur cette terre qui ne ment pas, sur la famille et la petite propriété que l’on se doit de défendre, sur le travail grâce auquel l’homme se réalise, sur la patrie pour laquelle le sang fut versé à Verdun… ne pouvaient que leur plaire. Pour eux (et certains ont connu la Grande Guerre), Pétain était et demeure le sauveur d’une France assaillie hier, vaincue aujourd’hui. Comme nombre de Français, les paysans crurent longtemps en « l’homme de Verdun »… mais cette confiance accordée au vieux militaire s’éroda avec le temps.
À la Libération, le syndicalisme agricole doit donc se reconstruire de fond en comble et il doit le faire dans les conditions du moment. Le ministre de l’Agriculture nommé par De Gaulle est un socialiste, François Tanguy-Prigent, un paysan breton qui a délaissé la charrue pour endosser une carrière politique dès le milieu des années 1930. Si tout le monde s’accorde pour maintenir l’unité paysanne, la question qui se pose est celle du leadership.
Se reconstruire donc, mais avec qui ? Peut-on laisser en postes ceux-là même qui, hier, à la tête des structures départementales de la Corporation paysanne, saluait la Révolution nationale ? Oui… et non. Si certains, parmi les plus engagés dans la Collaboration avec Vichy, sont ainsi « épurés », la plupart ne sont pas inquiétés. Eugène Forget est de ceux-là.
En 1941, dans le premier Bulletin de l’Union des syndicats agricoles, Eugène Forget se réjouissait de voir « le bon maréchal Pétain » s’en prendre aux spéculateurs, aux « financiers d’Israël [et aux] commerçants marrons », autrement dit au capitalisme « cosmopolite » et mercantile : « Leur temps est passé, celui des paysans est arrivé. » En mars 1946, au congrès de fondation de la FNSEA, il se pose encore et toujours en défenseur des paysans malmenés par les idéologues qui entendent transformer « la société paysanne en une société industrielle ». Eugène Forget est un homme de droite, certes, mais il l’est bien moins que beaucoup ! Ce militant du MRP (Mouvement républicain populaire) entend incarner la famille paysanne, une famille plurielle (exploitants, salariés agricoles, techniciens, coopératives… tout cela réuni au sein d’une Confédération générale de l’agriculture), qui doit se rassembler et non se déchirer et régler ses comptes en ces temps de reconstruction. Ne compte-t-il pas des amis parmi les agriculteurs socialistes ? Ne plaide-t-il pas pour que les paysans « rouges » aient aussi le droit à la parole dans les organisations agricoles ? Ne défend-il pas l’indépendance syndicale à l’égard des partis ?
Il faudra cependant plusieurs tours de scrutin avant que les délégués paysans de France ne s’entendent pour lui confier le soin de « sauver la paysannerie »…
Sources :
Eugène Forget, Le serment de l’unité paysanne, Nouvelle cité, 1982.
René Bourrigaud, Paysans de Loire-Atlantique, CHT, 2001.
Isabel Boussard, Vichy et la Corporation paysanne, FNSP, 1980.
Gilles Luneau, La forteresse agricole – Une histoire de la FNSEA, Fayard, 2004.
Article initialement publié sur le blog du CHT le 15 septembre 2017.
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