Mamers, 1850 : Le Play et la condition ouvrière
L’œuvre est aussi imposante (50 cm par 34 cm) que son titre est long : Les ouvriers européens. Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précédées d’un exposé de la méthode d’observation*. L’auteur n’est autre que Frédéric Le Play, un des précurseurs de la sociologie française…
Sur près de 300 pages, ce réformateur social fort conservateur par ailleurs nous entraine en Sibérie occidentale, en Suède septentrionale, chez les charbonniers de la Carinthie ou l’incontournable horloger suisse, dont le caractère libertaire marquera l’histoire de la Première Internationale. La France n’est pas oubliée, notamment l’Ouest et la Sarthe, où Le Play a jeté son dévolu sur les tisserands, les paysans et les maréchaux-ferrants. Intéressons-nous aux premiers.
Nous voici donc à Mamers, chez un tisserand qui « travaille successivement pour le compte de divers spéculateurs qui exploitent le commerce des toiles ». Dans sa « pureté primitive », nous dit Le Play, ce système était fondé sur « l’alliance intime de l’industrie manufacturière et du travail agricole ». Malheureusement, en « s’agglomérant dans les villes », les ouvriers ont perdu le lien avec la terre et donc la capacité de vivre de ses fruits. Conséquence, « l’existence de l’ouvrier et de sa famille repose en grande partie sur les secours du bureau de bienfaisance » puisque « l’émigration [n’est] point encore entrée dans les mœurs du pays ».
Certes, comme tant d’autres penseurs libéraux ou conservateurs, Le Play met cet état de misère sur le compte de « l’imprévoyance de la classe la plus nombreuse ». Cependant, vous le verrez avec l’extrait ci-contre, son propos dépasse le simple rappel à l’ordre moral ou à la charité chrétienne : il plaide pour une réforme du tâcheronnage, seul moyen de sécuriser la condition ouvrière.
Nous remercions vivement Emmanuelle Gilles, bibliothécaire de l’ENSAM (Angers), qui a sauvé de la destruction une édition originale de ce livre et nous l’a transmis pour conservation.
Article initialement publié sur le blog du CHT le 2 mars 2021.
Retour vers la liste d'articles