Le père Brachu et la solidarité des dockers

Du père Brachu, l’histoire et la mémoire ouvrières nantaise n’ont rien retenu. Même pas un prénom. On sait juste qu’il était Nantais, docker, qu’il avait perdu ses deux jambes sur les quais et qu’il était doté d’un fort caractère. On ne lui marchait pas sur les pieds, au père Brachu…

 

Le travail aux pièces n’a jamais fait l’unanimité chez les dockers. Lors du congrès national de la Fédération des ports et docks CGT tenu à Nantes en 1938, un docker déclare ainsi : « Je dis que ceux qui font certains travaux à la tâche sont des bêtes de somme ; je pense aussi qu’il y a parmi eux beaucoup d’égoïstes. L’égoïsme entraîne à éliminer certains vieux et aussi à ne penser qu’à soi sans regarder en arrière si des malheureux n’ont pas de quoi manger. (…) Le travail à la tâche est contraire au progrès des lois sociales. »


Point de vue radical qui ne fait pas l’unanimité. Mille raisons sont évoquées pour défendre le recours au travail aux pièces. Les Sétois soulignent que l’étroitesse des quais de leur port le rend nécessaire « pour libérer [les quais] dans le plus bref délai possible afin de permettre l’entrée de nouveaux navires » qui, dans le cas contraire, iraient décharger ailleurs. A Nice, le volume du trafic n’est pas suffisant pour faire travailler les dockers « quarante heures par semaine ; ils arrivent péniblement à faire dix ou douze heures, et c’est justement ce travail à la tâche qui leur permet de gagner une semaine confortable. » Un dénommé Rossi s’insurge : « Quant à être esclave au travail à la tâche, c’est faux, on l’est moins qu’en travaillant à la journée (…) Au Havre, les hommes travaillant à terre [et payés à la journée] ne peuvent s’absenter sans y avoir été autorisés par leur chef direct. Nous n’aurions jamais signé un accord pareil ! Lorsque nous avons des camarades qui ont travaillé la nuit, ou qui ont un peu trop bu, nous leur disons d’aller se coucher et ils touchent quand même leur salaire. »

 

Et le père Brachu, nous direz-vous ? Eh bien son infirmité ne l’a pas jeté loin des quais nantais où l’on travaille bien souvent à la tâche. François Behagel, le leader des dockers nantais, le cite en exemple : « À Nantes, nous travaillons aux pièces, c’est certain, mais nous avons la possibilité de choisir nos hommes ; le chef de panneau peut choisir ses vingt-deux ouvriers. Le camarade Brachu, amputé des deux jambes, et qui est obligé de se faire rouler, travaille ; c’est nous qui l’embauchons. » Ainsi, c’est parce que les dockers ont réussi à imposer leur façon d’organiser le travail que les vieux travailleurs et les handicapés peuvent échapper au chômage et à la misère.

 

Source :

 

Christophe Patillon, Les hommes libres – Dockers du port de Nantes, Éditions du Centre d'histoire du travail, 2017.

 

Article initialement publié sur le blog du CHT le 1er février 2018.

 

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