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Nantes 1884 : au nom des bonnes moeurs...
En cet été 1884, l’émotion règne dans l’atelier des machines à cigarettes de la Manufacture des tabacs de Nantes. Dans cette administration, on ne badine pas avec la morale et on réprimande rudement ceux qui s’en écartent.
Le dimanche 27 juillet, deux employés de cet atelier, l’ajusteur Valette et l’ouvrière Janvier, ont passé la journée ensemble, courant les cabarets et buvant, dit-on, plus que de raison. Puis, après avoir rendu visite à une de leurs collègues, l’ajusteur aurait passé du temps, en soirée, au domicile de l’ouvrière. Problème : Valette et Janvier ont chacun un conjoint qui travaille à la Manufacture des tabacs. L’affaire a donc fait grand bruit et est parvenu aux oreilles des « Employés Supérieurs », autrement dit du directeur, de l’ingénieur et du contrôleur préposé à la comptabilité.
Ceux-ci ont aussitôt mené l’enquête, récolté des témoignages et, au nom des bonnes mœurs et en vertu de l’instruction du 9 août 1862, ils ont suspendu les deux employés en attendant un renvoi qu’ils savent inéluctable. Inéluctable car comme le souligne l’article 114, ceux qui se rendent « coupables d’insubordination, d’ivrognerie, de rixes ou de disputes, de propos contraires aux bonnes mœurs et tendant à porter le désordre dans les ateliers [seront] renvoyés », tout comme ceux qui ont « une mauvaise conduite notoire à l’extérieur » ; preuve, comme l’a écrit le sociologue Jean-Noël Retière que « le règlement, loin de régir exclusivement la vie dans l’enceinte de l’établissement, s’immisce au-delà, se mêle de l’intimité ouvrière, surveille les réputations ». On ne badine pas avec la morale et n’entre pas qui veut à la Manufacture des tabacs !
A réception de la missive, l’ajusteur a rencontré les Employés Supérieurs, reconnu avoir commis « une grande imprudence », tout en les assurant n’être coupable dans cette affaire que de « légèreté ». Sans attendre la sanction définitive, il a demandé son compte et son livret ouvrier lui fut aussitôt rendu, avec regret, car Valette était un « ouvrier habile, régulier, de caractère très doux ». Il ne fait pas de doute pour les enquêteurs qu’il s’est « laissé entraîner par faiblesse de caractère à commettre une faute de légèreté ». La coupable ? L’ouvrière et mère de deux enfants Janvier, évidemment, « beaucoup moins digne d’intérêt », d’autant plus qu’elle se rebiffe et par lettre demande à être reçue pour s’expliquer. Elle n’a rien à se reprocher, affirme-t-elle.
La réunion se tient le 2 août mais ses explications « n’ont point atténué la gravité des faits » et évité son renvoi. Un renvoi qui sonne comme un rappel à l’ordre général : « Cette mesure aura pour effet d’indiquer très nettement à quelle réserve sont réciproquement tenus les ouvriers, hommes et femmes, qui travaillent ensemble. » Valette et Janvier l’ont appris à leur dépens…
Sources :
Archives municipales de Nantes, F7 C9 D2 (Etrangers Grèves Apprentissage).
Jean-Noël Retière, La Manufacture des tabacs de Nantes 1857-1914, LERSCO, 1990.
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Article publié le 1er octobre 2022.
