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Les "petites mains" et le système Taylor
En juillet 1947, La Voix des travailleurs (VT) lance un appel à témoignages à destination des femmes travailleuses. S’en suivront sur près d’une année, quatre articles sur les métiers de la confection, de la chaussure et du problème du chômage féminin. L’un d’eux a retenu notre attention…
Cette initiative est portée par des militantes syndicales réunies en équipe appelée Entre nous, dont la date de création nous est inconnue et dont les activités n’ont pas laissé de traces dans les archives de l’organisation (1). Dans le n°3 de La Voix des travailleurs, elles appellent les travailleuses à informer les lecteurs de leur quotidien marqué par la « double journée ». N’ont-elles pas la charge du foyer et de l’éducation des enfants ? N’ont-elles pas pour mission « la formation du cœur et de l’esprit des enfants de France pour leur beau métier d’hommes » ? Ne doivent-elles pas créer une « ambiance d’affection et de compréhension nécessaire à la vie publique » pour les hommes les entourant ? Cette vision très traditionnelle des relations hommes-femmes est cependant contrebalancée par la définition qu’elles donnent du statut de travailleuse puisqu’elles y intègrent les femmes au foyer qui sont « aussi des travailleuses souvent sous-estimées par ceux-là même qui profitent de leur présence ».
Le premier témoignage paraît dans le numéro suivant du journal. Il nous plonge dans le quotidien des petites mains du secteur de la confection-habillement soumis au taylorisme. Au début de la chaîne, nous trouvons les coupeuses qui préparent les tissus. A la fin de la chaîne, il y a les vérificatrices, les repasseuses, et au milieu, les ouvrières qui assemblent les pièces. Des ouvrières qui ont chacune une tâche précise à remplir : l’une s’occupe des manches, l’autre du col, une troisième des boutonnières. Cela forme une « équipe soudée à la même besogne » mais qui peut se déchirer si l’un des éléments connaît une défaillance et ralentit la production. C’est pourquoi « aucun geste ne doit être perdu, l’effort doit être continu et uniforme. » Il faut donc travailler avec dextérité, et acquérir vite une « science consommée du métier » pour tenir la cadence et les normes de production, tout en prenant garde à l’accident de travail, conséquence de cette fatigue accumulée ou d’une seconde d’inattention.
L’article ne fait pas le procès du système Taylor, ne réclame pas son abolition mais avance une revendication : la généralisation d’un « arrêt de cinq minutes toutes les heures ». Certaines maisons l’ont accepté, mais d’autres rechignent. Pourquoi ? Parce qu’elles veulent avoir « la certitude d’un rendement horaire équivalent ». Le système Taylor est bien, comme l’écrivait en 1914 le syndicaliste révolutionnaire Emile Pouget, « l’organisation du surmenage ».
(1) Les congrès de 1946 et 1947 n’évoquent aucun travail spécifique à destination des travailleuses.
Bastien Lebon, bénévole au CHT, et Christophe Patillon
Sources :
- Archives de l’UD CFDT de Loire-Atlantique (CHT) ;
- La Voix des travailleurs (organe de l’Union départementale CFTC de Loire-Atlantique).
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Article publié le 1er janvier 2023.