La Montagne, 1946 : résistance ou collaboration ?

Le 6 décembre 1946, la section socialiste de La Montagne tient sa réunion bimensuelle dont l’ordre du jour principal concerne les élections municipales prochaines. A l’issue de cette réunion, la vingtaine de militants présents est amené à se déterminer sur un autre sujet : la « camarade Lorigeon », institutrice, a-t-elle eu une attitude ambiguë pendant l’Occupation ?

 

C’est l’opinion d’un de ses collègues, et il l’a affirmé clairement « dans la cour de l’école des garçons » devant deux militants socialistes quand il a vu apparaître le nom de Madeleine Lorigeon sur la liste des « Grands électeurs » socialistes pour les élections sénatoriales de novembre 1946. Sommé de s’expliquer, il affirme pouvoir « prouver que cette dernière avait déclaré [avoir] beaucoup de sympathie pour les Allemands ». Choqués, les deux militants le poussent à réitérer ses propos en présence de Mme Lorigeon. Là, écrit le secrétaire de séance, « il rétracta certaines paroles prononcées par lui et se contenta de dire que Mme Bichon pourrait confirmer son accusation ». Qui est cette Dame Bichon ? Une coiffeuse… par ailleurs épouse d’un militant socialiste local ; de quoi semer une belle pagaïe au sein du parti !

 

Devant la section rassemblée, et sans nul doute troublée par l’affaire, Mme Lorigeon se défend, rappelle son profond pacifisme et déclare « que le drapeau qui représentait à ses yeux le plus de valeur était celui de l’Internationale ouvrière ». Convaincu par ces mots, d’autant plus que l’institutrice a toujours fait preuve de dévouement notamment « envers ses collègues instituteurs prisonniers », le camarade Jean-Baptiste Babin demande alors « de ne pas se laisser prendre au piège de la diffamation intéressée à l’égard d’un de nos adhérents car à travers lui, c’est notre section que l’on veut attaquer. »

 

Pourquoi diable cet instituteur s’en est-il pris à sa collègue ? Nous ne pensons pas que le règlement de compte politique en soit la cause, puisque la gauche montagnarde est portée, pour l’heure, à l’unité, et, si cela avait été le cas, ce motif serait apparu clairement dans le compte-rendu. A-t-il alors agi par malveillance, par rivalité professionnelle ? C’est la piste la plus sérieuse car sur le compte-rendu manuscrit retrouvé dans les archives, la mention « intéressée » a été rajoutée après coup.

Cette affaire est à la fois anecdotique et révélatrice. Anecdotique, car elle ne provoqua aucun trouble durable au sein du parti. Révélatrice, car elle illustre les tensions parcourant la société française à la Libération. L’épuration prit en effet plusieurs formes, dont celle menée par les partis eux-mêmes pour faire le « ménage » dans leurs rangs. Au Parti socialiste, rares furent les députés ayant voté les plein pouvoirs au Maréchal Pétain à conserver leur place au sein du parti : trois députés sur les quatre que comptait la Loire-Atlantique prirent ainsi leur retraite politique. Des élus de moindre importance subiront le même sort. Ce fut le cas à La Montagne où le maire socialiste Alphonse Tramblay, élu en 1935, fut mis sur la sellette dès la reconstitution de la section socialiste en octobre 1944, notamment par son ancien conseiller municipal, Jean-Baptiste Babin qui, lui, avait fait le choix de démissionner de son poste en 1941, refusant de servir le régime de Vichy…

 

 

Sources :

 

Centre d'histoire du travail, Fonds Roger Payen (PAY 10)

 

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Article publié le 1er juin 2023.

 

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