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Nantes, 1896 : haro sur l'inspecteur !
Ce mercredi 8 juillet 1896, à 20h30, l’inspecteur départemental du travail Albert Drancourt se rend au théâtre, non pour y savourer un spectacle, mais pour accomplir son devoir. L’accueil ne fut sans doute pas à la hauteur de ses attentes…
Arrivé sur place, il demande à pénétrer dans l’établissement mais la « personne chargée du contrôle » lui répond qu’elle n’a pas « qualité pour donner satisfaction à cette demande ». Albert Drancourt lui fait alors la lecture du texte de loi l’autorisant à inspecter les théâtres, mais cela ne convainc pas l’employé qui le prie de bien vouloir attendre l’arrivée de M. Delétraz, administrateur des « représentations artistiques et littéraires de France et de l’étranger », dont la troupe s’est produite la veille en ce lieu.
Après dix minutes d’attente, M. Delétraz fait son apparition et demande à quel titre Drancourt veut inspecter le théâtre. Drancourt lui tend alors son ordre de mission, s’apprête à lui donner « également lecture des termes de la loi » mais Delétraz l’interrompt : « Je veux savoir ce que c’est que ce chantage ! s’écrit-il, qu’on appelle un agent ! »
L’arrivée de ce dernier ne change visiblement rien à la situation puisque Drancourt demande au représentant de l’ordre d’aller prestement quérir le commissaire de police de service. L’agent parti, Delétraz fulmine de plus bel et adresse à Drancourt « les outrages les plus blessants ». Il le traite d’« inspecteur des pavés », autrement dit de fainéant et d’anarchiste, et clame que lui, il travaille douze heures par jour : « Des inspecteurs du travail, je m’en fous et je me fous de vous ! Foutez-moi le camp ! » Joignant le geste à la parole, il se jette alors sur Drancourt « les poings en avant » et le malheureux inspecteur s’en tire sans ecchymose grâce à la prompte intervention d’une « dame assise au contrôle ». Fin de l’altercation. Delétraz écopera de deux amendes pour obstruction ainsi qu’outrage et violence à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions…
Ce fait divers illustre la difficulté de la jeune Inspection du travail à se faire respecter par les employeurs pour qui elle est un frein à l’activité économique et une intolérable intrusion dans ses affaires. Qu’avait à craindre Delétraz d’un tel contrôle ? Cherchait-il, en tonitruant de la sorte, à faire du scandale, à faire conspuer par la population un fonctionnaire « harceleur » et le pousser, sous la bronca, à rebrousser chemin ? Nous ne le savons pas car le rapport de l’inspecteur n’en dit mot, malheureusement.
Quant aux ouvriers, ils n’ont guère confiance dans une institution qui manque cruellement de moyens pour accomplir ses missions et qui dépêche, sur les lieux d’exploitation, des fonctionnaires qui ne connaissent rien au monde du travail industriel. Il faudra attendre quelques décennies encore pour qu’ils puissent voir en elle une possible alliée…
Sources
Procès-verbal de l’inspecteur départemental Drancourt rédigé le 8 juillet 1896 (Archives départementales de Loire-Atlantique, 10 M 10)
Pour aller plus loin
Jean-Louis Robert (dir.), Inspecteurs et Inspection du travail sous la IIIe et IVe République, La Documentation française, 1998.
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Article publié le 1er octobre 2023.