Batignolles, 1971 : une grève marquée par l’esprit de Mai-68
Pour beaucoup, l’industrie nantaise, « c’est la Navale ». Ils en oublieraient qu’à la sortie de la Première Guerre mondiale, à l’est de la ville, au milieu des tenues maraîchères, la Société Batignolles-Châtillon fit construire une usine moderne destinée à la fabrication de locomotives, et trois cités destinées au personnel. Maisons en pierre pour les cadres, maisons en bois pour les ouvriers, wagons aménagés pour les célibataires, pour beaucoup immigrés. Les Batignolles furent une Babel où l’on croisait Tchèques, Polonais, Espagnols, Portugais, Italiens et même Allemands, et un haut-lieu des luttes ouvrières et de la Résistance au nazisme. En 1971, le taux de syndicalisation atteint 35 % du personnel. Les deux tiers des syndiqués (530 personnes) le sont à l’historique centrale ouvrière, hégémonique chez les ouvriers (60%) et plutôt forte chez les employés et cadres (40%). Le socle de la CGT est représenté par les ouvriers qualifiés P2, les plus nombreux dans l’entreprise, qui manifeste un fort attachement au respect de leur qualification et à la qualité du travail. L’ancienne centrale chrétienne, déconfessionnalisée en 1964, est bien plus faiblement implantée : la CFDT ne compte qu’une centaine d’adhérents. Quant à FO, l’organisation ne rassemble qu’une poignée de mensuels.
Le salaire de la traite : la guerre du lait (1972)
Au printemps 1972, l’Ouest de la France connaît un mouvement social d’ampleur porté par les producteurs de lait. Ceux-ci se mobilisent contre la politique laitière menée à la fois par Bruxelles et par les industriels, politique qui se traduit par la baisse du prix du lait. Le motif avancé par Bruxelles : les hangars regorgent de beurre et de poudre de lait, la filière souffre de surproduction et donc de débouchés. La surproduction, voilà l’ennemi. Le motif avancé par les entreprises : la baisse résulte de la saisonnalité des prix, autrement dit de l’application de la péréquation été-hiver. Le fait que les paysans en colère s’en prennent aux laiteries privées mais aussi aux leurs (les coopératives dont ils sont juridiquement les « propriétaires ») en dit long sur la fracture du monde paysan. Le fait qu’ils avancent que le prix du lait, c’est leur salaire (ce qui revient à faire d’eux des salariés et non des chefs d’exploitation), soulignent la toute nouvelle puissance du courant paysan-travailleur dans la paysannerie de l’Ouest.
Passay, 1907 : les pêcheurs se rebellent
La grève de 1907 est un moment fort de l’histoire de Passay, le village de pêcheurs du Lac de Grandlieu. D’abord parce que ce combat souligne la volonté du syndicalisme et du socialisme de notre département de sortir des centres ouvriers urbains, de conquérir de nouveaux espaces pour la contestation politique et sociale, de combattre les restes de féodalisme, ou présentés comme tels, présents dans un univers aussi réactionnaire que la Loire-Inférieure rurale. Ensuite parce qu’elle permet la création de deux coopératives, la première de pêche et la seconde de consommation, qui survivront des décennies. Elle est menée par un homme devenu depuis figure locale, Arsène Corbeau. Un Arsène Corbeau dont on sait au demeurant peu de choses. Pêcheur, pas pêcheur, pêcheur occasionnel ? Cent ans plus tard, le mystère demeure…
Saint-Nazaire, 1957 : la Navale s’enflamme. La journée du 24 octobre 1957 rappelle la journée émeutière du le 1er août 1955. Suite aux débrayages de la journée, la direction décide de fermer les Chantiers le lendemain jusqu’à nouvel ordre et quittent les lieux une heure avant l’annonce. Le débrayage est alors général. La direction est envahie par quelques 300 personnes, des fenêtres sont brisées, des bureaux saccagés, du matériel lancé par les fenêtres. A 16h15, 16 policiers se rendent sur place, appelés par deux membres de la direction. Ils sont violemment pris à partie (trois finissent à l’hôpital) et un de leurs véhicules est retourné puis incendié. Les CRS interviennent et sont accueillis par une volée de pierres et boulons. Les charges et replis se succèdent dans une ambiance chargée de gaz lacrymogènes. La dernière charge est fatale à un ouvrier, Emile Marquet, 35 ans, peintre-caréneur habitant Saint-Etienne de Montluc, et venu à Saint-Nazaire travailler pour le compte d’un sous-traitant des chantiers.
Du conflit trignacais au congrès de la FNS : la grève générale de 1894
Vers 1850, Trignac est un hameau de 300 âmes dépendant de la commune de Montoir-de-Bretagne. Au recensement de 1872, on dénombre 170 marins, 91 ouvriers et domestiques et 48 paysans. Son développement est intimement lié à celui de Saint-Nazaire, à la fois grand port de l’Atlantique et place forte de la construction navale française. L’extension de la zone industrielle nazairienne ne pouvait se faire qu’en remontant l’estuaire, car au nord se trouvaient les villégiatures de la bourgeoisie. Le développement industriel nazairien débute au milieu du 19e siècle. Nantes, du fait des caprices de la Loire, a besoin d’un avant-port capable d’accueillir les navires les plus imposants, incapables de remonter la Loire du fait de son ensablement. Saint-Nazaire n’est alors qu’une petite ville rurale de 5000 habitants. Les travaux entraînent l’arrivée de centaines de terrassiers et de manœuvres qui vont faire souche. D’où vient toute cette main-d’oeuvre ? On pourrait l’imaginer massivement briéronne, mais les Briérons ne forment à cette époque-là qu’une minorité de ces nouveaux prolétaires.
La Révolution russe et le mouvement ouvrier de Loire-Inférieure (1917-1921)
Nous sommes le 20 janvier 1917. Le sous-préfet de Saint-Nazaire adresse un pli dactylographié à son supérieur hiérarchique. Il vient d’apprendre qu’un Comité d’action contre la vie chère a l’intention d’organiser une conférence publique prochainement et « si cette intention se cristallisait, écrit-il, je serais obligé de proposer de ne pas autoriser cette conférence ». Pourquoi ? Il s’en explique. L’inflation qui vide les bourses populaires est due selon lui à la « rapacité du campagnard » et du commerçant tout comme à la « prodigalité de l’ouvrier ». Un ouvrier qui dépense trop et qui pointe un doigt vengeur en direction de l’Etat qui ne fait rien contre les profiteurs de guerre ou, pour reprendre les termes mêmes du comité, « les agioteurs et les accapareurs » : « Une conférence contre la vie chère se résoudrait donc en attaques violentes contre une catégorie de citoyens, contre les représentants du gouvernement, et contre le gouvernement lui-même. Elle ne pourrait avoir d’autres résultats que d’exaspérer les passions, de fomenter des divisions et de causer du trouble sans résultat pratique, les autorités n’ayant pas besoin de manifestation pour envisager leurs responsabilités et prendre les décisions que les circonstances comportent. » Nous sommes en 1917, la guerre a trois ans et l’Union sacrée a du plomb dans l’aile…
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